La faute, Daniel Monnat (par Stéphane Bret)
La faute, Daniel Monnat, février 2020, 315 pages, 23 €
Edition: Slatkine
La culpabilité est un sentiment humain décisif dans l’adoption d’une conduite, dans l’élaboration des choix de vie personnels, surtout en de dramatiques circonstances. Michel Suter est un bon citoyen helvétique, originaire de La Chaux-de-Fonds, petite bourgade campagnarde de la Suisse romande, mais qui a décidé de conquérir la ville de Genève, où il effectue des études de médecine. Il a pour objectif de s’établir, d’épouser Oriane, issue d’une famille bourgeoise genevoise. Ce projet a pour but de lui constituer un solide carnet d’adresses dans l’Establishment genevois, et d’accéder à un statut social enviable. Lors de ses sorties dans les auberges et cafés de la cité de Calvin, il rencontre Daniel et Judith Tauchner, des réfugiés ayant fui l’Allemagne nazie voisine. Daniel Tauchner est marchand d’art à Munich, cité qui joua lors de la République de Weimar un rôle culturel significatif.
Michel est immédiatement séduit par Judith, tandis que Daniel se lie à lui par calcul, pour tenter de sécuriser la fuite de son couple et de s’installer ultérieurement en France, puis peut-être aux Etats-Unis. Par un concours de circonstances assez invraisemblable, les Tauchner tombent dans un guet-apens à la frontière germano-suisse et sont déportés en Allemagne, puis dans les camps de concentration et d’extermination de l’est de l’Europe occupée par la Wehrmacht. Michel comprend les conséquences terribles de son imprudence et décide, pour racheter sa faute, pour effacer les funestes conséquences de ses actes, d’aller les libérer, là-bas à l’Est. Cette démarche le conduit à Smolensk, puis à Minsk.
L’intérêt du roman se manifeste alors, d’une part dans la description fouillée des états d’âmes de Michel, de la nature de ses interrogations, doutes, et indignations ; d’autre part dans la description de l’horreur que Michel découvre : assassinats en masse au fusil et au révolver par les sinistres Einsatzgruppen nazis, politique de la terre brûlée en Russie et en Biélorussie, tueries, prises d’otages, meurtres commis pour la moindre désobéissance.
Autre intérêt du roman : la mise en accusation par le héros lui-même, de la politique de son pays, la Suisse. Il découvre, pendant le sauvetage de Sarah, la fille de Judith, seule survivante, que ce pays, loin de s’opposer à la machine de guerre nazie, a épaulé les Nazis dans leur effort de guerre, et que sa politique d’accueil des réfugiés, en particulier Juifs, fut timorée, empreinte d’opportunisme et de crainte : celle de voir les réfugiés s’établir en Suisse au lieu de continuer leur odyssée vers l’Amérique ou l’Angleterre. Une attitude qui peut paraître actuelle et trouver une résonance aux yeux d’un lecteur contemporain.
Enfin, mentionnons l’allusion au rôle joué par les marchands d’art suisses, en particulier Emil Bührle, dans l’achat de tableaux appartenant à des galeristes spoliés par les Nazis, dont certaines œuvres acquises prétendument de bonne foi ont fait l’objet d’une récente exposition au Musée Maillol à Paris.
Stéphane Bret
Daniel Monnat est né à Berne en 1951. Titulaire d’une licence en histoire contemporaine, il a ensuite exercé la profession de journaliste à la Radio Suisse Romande avant de poursuivre sa carrière à la Télévision Suisse Romande pour laquelle il a réalisé de nombreux reportages, notamment pour le magazine Temps Présent. La Faute est le premier roman de Daniel Monnat.
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